Dans son roman autobiographique, Burn Out, Patricia Martel[i],
médecin, évoque ce représentant d’un nouvel antidépresseur : le Survivor 3©.
Il lui vante en particulier sa mise au point grâce à un test
extraordinaire : l’épreuve de la nage forcée. Or ce test n’est pas
seulement un test imaginaire de roman mais bien au contraire un test
scientifique.
Le test de nage forcée ou de Porsolt est aussi appelé test du désespoir. Il est
d’une simplicité étonnante. On place une souris dans un bécher rempli d’eau
tiède. La souris se met à nager. On mesure alors le temps au bout duquel elle
arrête de lutter car elle ne parvient pas à sortir du récipient bien entendu.
Ce test scientifique a pour objet
de mesurer les effets des antidépresseurs chez le rat ou la souris. Les rongeurs
déprimés arrêtent de nager plus vite que les autres. Si l’antidépresseur est
efficace, la souris va nager plus longtemps que la population témoin avant de
se laisser flotter.
L’intérêt de ce test est son côté
scientifique et représente le résultat d’études sur le meilleur moyen de
stresser des rats. La « recette » est de mettre un rat :
- seul,
- face à une situation qui le dépasse
- et sans espoir de sortie.
En synthèse, le faire lutter seul
contre un ennemi invisible et infini.
Dans les années 80, j’ai vu le film d’Alain Resnais et d’Henri Laborit [ii]« Mon
oncle d’Amérique [iii]».
Il y détaille les 4 comportements de base de l’être humain : la
consommation, la récompense, la punition et l’inhibition de l’action.
Chacun de ces comportements est illustré dans le film par les acteurs
Roger Pierre, Gérard Depardieu et Nicole
Garcia. Si le film a eu un grand succès en son temps, il est aujourd’hui dépassé
mais était précurseur et grand public.
Le film mélange des destins
différents et quelques scènes plus « scientifiques » montrant des
rats de laboratoire. Il donne l’exemple de ce rat face à une décharge
électrique émise après un signal sonore, 10 fois de suite, sur 7 jours. Ce
premier rat peut fuir vers une autre partie de la cage non électrifiée. Il est
en parfaite santé au bout d’une semaine.
Le deuxième exemple montre deux
rats coincés dans la partie émettant une décharge électrique, sans
échappatoire. Ils subissent la décharge, mais se « mettent sur le
G… » quand ils la subissent. Ils sont eux aussi fringants au bout d’une
semaine.
Le dernier exemple est illustré
par un rat coincé dans la mauvaise partie de la cage, seul et sans échappatoire.
Il doit subir la décharge. Ce rat-là est en piteux état au bout d’une semaine.
Ce dernier exemple montre que si le rat ne peut éviter la menace ou ne peut pas
décharger son agressivité, il s’inhibe, prend sur lui, ce qui revient à
retourner l’agressivité contre lui.
Ce n’est donc pas seulement l’opposition
qui est contraignante, ni les conditions de travail en soi mais bien
l’impossibilité de lutter contre le stimulus agressif ou l’impossibilité de
pouvoir décharger son agressivité. La lutte est stressante mais face à un
ennemi identifié, l’homme sait gérer. Soit par la fuite en fuyant vers une
autre entreprise, ce qui n’est plus si facile aujourd’hui dans notre contexte
social. Soit par l’agressivité, ce qui n’est plus acceptable dans nos sociétés.
Face à un ennemi invisible et
seul, le rat et l’homme ne font donc pas long feu.
Ce qui est caractérise également de nombreux cas de bunt-out, c’est cette
composante de solitude, d’infini, de perte d’espoir.
De solitude car le personne en
burnout est seule face à son travail. C’est le cas dans les organisations
complexes où les métiers sont tellement pointus que peu de collègues sont à
même de le comprendre précisément et de le faire « à la place de ».
L’expert pointu de tel domaine a souvent bien du mal à trouver un collègue avec
qui échanger sur ses difficultés. Ce qui aggrave surtout cette situation, c’est
l’éclatement géographique. Les pairs sont dans d’autres pays, sur d’autres
fuseaux horaires, d’autres sites. Impossible d’échanger avec eux sur les
difficultés du métier au quotidien. Si j’ai une convivialité avec un collègue,
ce sera souvent assez superficiel. Il y a moins de sentiment d’appartenance à
une entité, un métier. Ce vécu est à l’opposé des compagnons du devoir, des
corporatismes. L’organisation change également tout le temps, les personnes du
service sont volatiles, le sentiment de solitude s’installe.
D’infini car la masse de travail est importante. Elle arrive de
plusieurs cotés à la fois. Ce n’est plus le chef qui donne des ordres et
définit la tâche à réaliser mais des nombreux responsables fonctionnels. Ils
sont même très nombreux ces chefs de projets, chargés de missions, managers
fonctionnels, sur plusieurs sites, plusieurs continents, plusieurs fuseaux
horaires. Ils ne sont pas méchants, ils essaient eux aussi de nager au mieux
dans le bain, mais le collaborateur doit faire face à cette masse de travail
sans bien distinguer ce qui est important de ce qui l’est moins. Comment
prioriser ? Personne ne le sait, tout est prioritaire. Et sans fin, une
vague pousse l’autre.
Perte d’espoir enfin car cette
situation peut ne pas bouger pendant des années. Si la structure hiérarchique
évolue tous les jours, l’organisation du travail elle change peu si ce n’est
par une diminution de moyens. Ce n’est pas un coup de feu ponctuel, c’est une
situation instable –rien n’est jamais sûr -, critique - tout est urgent et
important – et pérenne. La citation « Il n'existe rien de constant si ce
n'est le changement. » de Boudha est dramatiquement vraie ici. Il n’y a
nulle éclaircie au bout du tunnel. Les seules bouffées d’oxygène sont les
vacances mais l’idée du retour angoisse déjà ; et la retraite dont personne
n’est plus sur de profiter et quand ?
L’organisation du travail globale, corporate, voulue ou non, reconduit aujourd’hui les
conditions du test de nage forcée. Certains collaborateurs se retrouvent donc
dans une situation assez analogue à ces rats. Ils nagent du mieux qu’ils
peuvent mais seuls face à un ennemi protéiforme, sans visage connu. Et sans
fin. Ils n’ont pas la plus petite idée de quand cette situation va s’arrêter.
Alors au bout d’un moment ils s’arrêtent de nager, à quoi bon ?
A quoi bon ?
Mais concrètement ? A quoi sert ce constat s’il ne permet pas
d’améliorer le sort des personnes au sein de l’entreprise ?
Un début de solution est sans doute la réunion de service. Elle est vieille comme les entreprises. Trop souvent
décriée comme réunionnite, inutile, trop « top-down » - du haut vers
le bas - par bien des collaborateurs, elle a sans doute des travers.
Mais c’est néanmoins le lieu et
le temps où tous les membres d’un service sont réunis ensemble pour discuter du
travail rendu par ce service. Dans bien des organisations aujourd’hui, les
réunions de service sont remplacées par des « points » ou des
réunions de projet. Ce sont des réunions très opérationnelles, orientées
production. Elles posent la question de quand, mais rarement du comment. Or,
comme le dit si bien Marie Pezé dans « Travailler à armes égales »[iv] :
« La peur que nous éprouvons tous, à
un moment ou à un autre, se nourrit de la solitude entretenue, de l’absence
même de délibération autour du travail, sur la manière dont ion se débrouille
avec lui »
Or la réunion de service avait
pour avantage de parler du comment, de partager sur la pratique, sur la vision
commune de faire le travail, de se confronter, de demander à redistribuer le
travail ou de le faire différemment.
Ce n’était absolument pas une
réunion parfaite, mais on se rend mieux compte aujourd’hui de son importance
alors qu’elle est en voie de disparition, jugée archaïque.
Réintroduire
la notion de réunion de service est sans doute une mesure structurelle
importante dans bien des environnements pour réintroduire la notion
d’appartenance à une communauté de travail, pour partager les valeurs et ce qui
se fait, pour donner une chance à la solidarité d’un groupe face à un travail.
Pour éviter aux individus d’avoir le sentiment de nager seul dans un bocal.
Le corolaire est aussi
organisationnel car cela suppose de réintroduire la notion de proximité dans le
travail. Il faut éviter à tous prix les réunions de service entre des japonais,
des canadiens et des français. Avec des horaires et des cultures trop
différentes. En téléconférence sans affectif ni échange véritable. La réunion
de service est une réunion en face à face de préférence, régulière pour ne pas
dire hebdomadaire. C’est donc la distribution du travail « worldwide »
-au niveau mondial - qui est remis en
cause. Il faut la revoir en créant des entités de travail de proximité, qui,
elles, vont travailler « worldwide ».
On a confondu travail
international avec organisation internationale du travail. C’est une erreur
majeure. Il est tout à fait possible à des entités de taille réduite de
travailler en proximité sur un seul site pour d’autres entités sur des pays ou continents
différents. Mais créer des entités avec des collaborateurs sur 4 continents est
sans doute la plus grosse bêtise de management de ce début de siècle. Cela ne
marche pas ou alors à quel prix pour bien des individus?
Néanmoins,
le style de management de ces réunions de service doit évoluer. Il ne peut plus
s’agir d’un lieu de parole pour le responsable – et encore d’un lieu de
harcèlement - mais bien d’un lieu d’échange. La posture du manager doit
effectivement changer. Etre authentiquement collaborative. Pour quelques
managers trop accrochés à leurs prérogatives, on a supprimé les réunions de service
en jetant le bébé avec l’eau du bain.
Il existe une notion intéressante
dans d’autres environnements que l’entreprise. Ce sont les réunions de partage
de pratiques en milieu hospitalier ou psy par exemple. Il s’agit de se réunir
entre professionnels pour garder le meilleur de chaque situation, confronter sa
vision à celle des autres, recueillir leur aval ou question. Ces réunions
demandent une certaine expertise d’animation mais sont une bonne base pour
mettre en place des réunions de service de nouvelles générations. Ce sont aussi
des réunions d’écoute qui peuvent, symboliquement, se dérouler sans tables,
sans vidéoprojecteur. En voilà un bon exemple de changement au sein de
l’entreprise pour ces réunions de service : interdire le vidéoprojecteur.
Concrètement, pourquoi ne pas
remettre en place une organisation du travail avec des équipes de proximité se
réunissant pour des réunions de services non plus orientées reporting mais
surtout analyse de la pratique ?
[i] Burn out - Patricia Martel -
7 juin 2010- Editions Atlantica
[ii] Henri
Laborit (né le 21 novembre 1914 et mort le 18 mai 1995 à Paris) est un médecin
chirurgien et neurobiologiste
[iii]
« Mon oncle d'Amérique » est un film français d'Alain Resnais sorti
en 1980.
[iv]
Travailler à armes égales. Souffrance au travail : comment réagir ? –
Marie Pezé, Rachel Saada, Nicolas Sandré - Broché – 21 avril 2011 – éditions
Pearson.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Merci de votre commentaire
Tannguy