lundi 5 octobre 2015

Temps et Rythme



Si vous vous spécialisez dans l’accompagnement des personnes en difficulté, vous comprendrez vite que le temps est une composante centrale de l’accompagnement. Les temps sont différents suivant les situations et les acteurs. Ils ont un impact fort sur le quotidien des personnes et sur l’accompagnement.

Le temps de la personne qui revient après un arrêt longue durée est spécifique. Il est différent selon la cause de l’arrêt.

Dans le cas d’un burnout, la personne a du temps en trop mais pas l’énergie pour en tirer parti pendant son arrêt. La sortie du burnout passe effectivement par une énergie suffisante permettant une meilleure utilisation de ce temps.
Pour un malade du cancer, le temps est souvent trop court. Il est très rythmé par les soins, les traitements, les déplacements, les examens. Etre malade, c’est un job à part entière qui occupe tout le temps disponible. Il n’en reste guère pour soi et les autres. Enfin, l’énergie est toute entière consacrée aux soins et il n’en reste plus pour une autre activité.

Le temps des proches est aussi fortement impacté. Car quand vous n’avez plus d’énergie pour accompagner les enfants à leurs activités, alors que vous êtes à la maison, mais scotché à votre canapé aussi surement qu’une tique à son chien, c’est le conjoint qui s’y colle. ll/Elle n’a plus de temps pour soi non plus.
C’est pareil pour le rôle d’aide malade, d’aidant. Un malade a besoin de se faire aider et les aidants se font phagocyter leur temps libre comme chauffeur ambulancier, gestionnaire de dossier médical. Ce sont des activités très chronophages.
Dans tous les cas, c’est l’équilibre temporel de la famille et de son environnement qui est impacté.

Pour la personne qui accompagne le malade, le temps est aussi une donnée cruciale. Respecter le timing des soins, la disponibilité de la personne, son énergie du moment impose un fonctionnement souple. Il n’est pas utile de prévoir un planning précis des mois à l’avance, mais bien un programme d’accompagnement d’une fois sur l’autre, au mieux, en fonction du mi-temps thérapeutique par exemple, ou de la forme de la personne à cette heure de la journée. Accompagner une personne qui revient après 1 an d’arrêt à 18h le soir n’est pas forcément le moment le plus approprié.
Le contenu des sessions d’accompagnement ne se programme pas non plus à l’avance. C’est encore plus vrai pour des personnes de retour en activité. C’est un avantage car au moins, l’accompagnant sait qu’il devra faire en fonction de l’actualité, de l’énergie du moment et c’est plutôt une bonne pratique.

Evidemment, ce qui rend les choses un peu plus compliquée dans le cas des personnes qui retournent en entreprise, c’est que le temps de l’entreprise lui est un temps rapide, dense. Avec des objectifs, des « dead-lines », des jalons. C’est un choc pour la personne de se trouver confrontée à des contraintes de temps fortes alors qu’elle en est à se réapproprier un temps à soi, un mode de fonctionnement propre.
La première question du malade de retour en entreprise est de savoir si elle va tenir le choc, comment vont se comporter les collègues, le manager etc. C’est déjà une épreuve de se présenter à la bonne heure au travail, d’embaucher, de retrouver les rites et rythmes, de revenir dans un univers parfois devenu lointain. Cette reconnexion peut demander un certain temps, souvent proportionnel à la durée de l’arrêt. Revenir après 18 mois d’arrêt n’est pas une sinécure. Le temps partiel thérapeutique permet aussi cela.
C’est pourquoi il est plus difficile de revenir dans certains métiers où la pression de temps est forte et immédiate. Si vous êtes en charge de construire des budgets, vous savez bien que même si on vous dit d’y aller cool, le budget doit être soumis à une certaine date pour rentrer dans un cycle de revue et d’acceptation. Personne n’ira dire « le budget de la R&D n’est pas fait car untel est en post burnout/cancer, il a besoin de 2 semaine de plus ». Car un budget s’approuve dans son intégralité, pas au fil de l’eau.

Le problème, c’est que les postes où le temps n’est pas omniprésent, où le rythme est supportable ou adaptable, sont de plus en plus rares. L’accélération des entreprises, le mode de management très transverse rend difficile des cellules protectrices qui donnent du temps. S’il est possible d’expliquer à son collègue et son manager le besoin de prendre du temps, il est plus difficile de l’expliquer à un manager fonctionnel sur un autre site, à une chef de projet dans un autre pays. Sauf à faire une publication ou une annonce générale sur la faible productivité de M. untel pendant un temps donné. C’est délicat, vous en conviendrez. Les zones d’atterrissage se font rares.

Dans son ouvrage [i]« la Comédie humaine au travail» (sous-titré : «De la déshumanisation taylorienne  à la sur-humanisation managériale»), Danièle Linhart revient sur la relation au temps dans les entreprises modernes. Avec une comparaison entre la maitrise du temps des ouvriers par Taylor, et l’accélération des entreprises modernes, où le temps est confisqué.
« Cet argument de l’accélération infinie du temps devient une arme de guerre. Non seulement, il conduit à déstabiliser sans cesse les salariés, à brouiller leurs repères et à défaire leurs ancrages, mais il désamorce toute tentative d’analyse critique. »
Le travail à la chaine induit par le taylorisme a eu un effet pernicieux sur les ouvriers. Le travail est sans grand intérêt et nécessite une certaine attention. Mais parfois pas suffisamment pour éviter à l’ouvrier de penser à autre chose. C’est alors la personne en poste elle-même qui va accélérer la cadence, pour devoir être pleinement absorbé par le travail mécanique à accomplir. C’est le phénomène d’accélération. Une façon de lutter contre le non-sens du geste à faire. C’est un excellent moyen de ne plus penser, de se déconnecter presque littéralement le cerveau. Ainsi, la journée passe plus vite et cela évite de broyer du noir. Une stratégie de défense contre le vide.
Si vous observez l’accélération effarante des entreprises de nos jours, il est tentant de faire une comparaison. La mise en place des processus de production, quel que soit le domaine concerné, Rh, comptabilité, finances, production, R&D etc… touche tous les secteurs. Un processus pousse l’autre, il y a toujours une urgence sur le feu. Les ouvriers ne sont plus concernés, mais bien les cadres. Les cadres de proximité, les cadres intermédiaires, les cadres autonomes, tous courent ! Sans fin.
Je ne sais pas si l’objectif est de déstabiliser les salariés, mais c’est bien le résultat obtenu. Avec une différence avec le mode taylorien, c’est que l’ouvrier ne travaillait que 8/10 par jour, dans l’usine. Le cadre actuel travaille 12h par jour, au bureau, à la maison, en we, en congés. Sans avoir choisi d’accélérerer pour ne plus penser, lui.

Mais concrètement ?  A quoi sert ce constat s’il ne permet pas d’améliorer le sort des personnes au sein de l’entreprise 

Le temps du malade n’est pas celui de l’entreprise. Vous l’avez compris. Par contre, la question devient plus épineuse quand il s’agit d’accompagner une personne malade de retour en entreprise. Le donneur d’ordre, le RH ou le manager, a lui une parfaite notion du temps. Si la personne malade est de retour après un arrêt long, elle revient souvent dans un  service différent, dans une entité différent, avec un manager différent. C’est souvent le cas après un arrêt lié à un cancer par exemple. Mais aussi après des burnout ayant nécessité des arrêts plus brefs, de quelques mois. Le retour d’une personne après un burnout au même endroit est compliqué, il faut un manager solide, capable de regarder les choses en face et qui n’a pas baigné dans un harcèlement conscient ou pas.

Quand une personne revient, il faut lui trouver un point de chute, rarement son poste initial. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, personne n’attend avec impatience le malade. C’est plutôt la question « Mais on va en faire quoi ? » « Et où ?». La priorité est donc de trouver un poste d’atterrissage, pour un certain temps, et un manager qui accepte de prendre ce collaborateur.
Mais cela ne peut durer qu’un temps. Le RH a peu de moyen pour imposer, au mieux arrive-t-il à trouver une solution provisoire. Pour quelques mois, 3, 6 mois maximum. Autrement dit, la personne à 6 mois dans le meilleur des cas pour se reconstruire et retrouver un poste. Car c’est bien comme cela que cela se passe. La personne de retour à 3 options :
  • Soit retrouver son poste d’origine et être opérationnel le plus vite possible,
  • Soit retrouver un poste tampon et en profiter pour cherche un autre poste interne,
  • Soit atterrir en « terre inconnue » dans un nouveau service.

Dans les 3 cas, c’est une course contre la montre ? Pour la personne et pour le coach qui l’accompagne.

Vous allez me dire que c’est scandaleux de n’avoir que ces options. Qu’il faut donner du temps au temps, même en entreprise. Personne en vous contredira là- dessus mais la réalité de l’entreprise est aujourd’hui celle-ci et encore une fois, inutile de faire des effets de manches, mais essayer d’être pragmatique. La réalité du terrain est aujourd’hui celle-là.
La question qui se pose au coach est alors plutôt déontologie. A partir de quand je suis instrumentalisé et une simple caution morale pour que l’entreprise puisse dire « Nous avons fait le maximum ! », « Ce n’est pas notre faute ».
La stratégie est souvent de jouer la montre. Démarrer un accompagnement avec au moins 6 mois pour travailler devant soi, sinon se demander comment il sera possible pour gratter quelques mois. Car ces 6 mois sont indispensables à la personne pour prendre du recul, pour évoluer, pour se projeter avec une capacité à se dire qu’il veut aller dans telle direction, vers tel poste et pas tel autre.

Le retour d’expérience nous indique en effet que le rétablissement d’une personne dans son poste prend un certain temps, pour ne pas dire un temps certain. A moins de 6 mois, il est difficile de faire un travail sérieux et bienveillant. Il faut bien compter un an pour considérer également que la situation est stabilisée.
Pourquoi 6 mois ? C’est une bonne question à laquelle il est difficile de répondre. Disons qu’il faut bien compter 2 ou 3 mois pour que la personne retrouve le rythme du travail et l’énergie qui va bien. Puis un deuxième temps consiste à reconstruire des projets autour de sa vie professionnelle. Peut-être aussi que le temps de changement de l’être humain est de cet ordre-là ! Changer prend du temps, c’est un processus interne.
Enfin, ne pas disposer d’un temps nécessaire confortable va mettre l’accompagnant dans une position d’obligation de résultat. La pression sera plus forte et la tentation de « brusquer » la personne pour la faire avancer plus vite grande. Ce n’est pas déontologique et va à l’envers des intérêts de la personne accompagnée. En 3 mois, l’accompagnement est brutal, intense. En 6 mois, il donne (un peu) du temps au temps.

Je vais aussi préciser que ces 6 mois ne sont pas 6 mois après le retour. La tentation est grande de jouer la montre lors du retour. Avant de prévoir un accompagnement, laissons passer quelques temps, histoire de se faire une idée avant d’engager un accompagnement. Apres tout, tout peut très bien se passer.
C’est possible mais tout peut aussi très mal se passer. Attendre « pour voir », c’est prendre un risque, surtout si l’arrêt a été long, et donc le retour difficile. Jouer la montre, volontairement ou pas, consciemment ou non, c’est faire prendre un risque à la personne, au manager, à l’équipe et donc à l’entreprise. Le temps, le bon timing, est clé dans ces situations.

Pour terminer ce post sur  le temps, je vais reprendre l’article[ii] de Megan Brooks, paru sur le Lancet.
Le sujet porte sur la classification comme pathologie ou pas d’une personne en deuil. A partir de combien de temps après le décès effectif, un proche est-il en dépression, donc malade au sens médical du terme.
L’article rappelle que « Jusqu'en 1980, date de la publication du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders III (DSM III), le manuel de référence des psychiatres version 3, la souffrance d'une personne ayant subi un deuil n'était pas considérée comme pathologique, comme une dépression.
Dans le DSM-IV (1994), les symptômes dépressifs sont considérés comme normaux chez des personnes récemment endeuillées s'ils ne persistent pas au-delà de 2 mois.

Dans le DSM-V, à paraître en mai 2013, le groupe de travail de l'American Psychiatry Association (APA) prévoit que le deuil ne soit plus considéré comme « une exception».

Autrement dit, en 1980, le deuil n’avait pas de durée. Vous aviez le temps nécessaire pour faire votre deuil. En 1994, au-delà de 2 mois, si vous n’avez pas retrouvé la patate, vous êtes malade. En 2013, vous êtes tout de suite potentiellement en dépression. Donc candidat aux antidépresseurs, ce qui explique les discussions vives sur le sujet. Le DSM V est-il en train de médicaliser le monde, et accessoirement de faire la fortune des laboratoires pharmaceutiques ?
Nous laisserons le débat aux spécialistes ! Mais il ressort néanmoins de ce débat que le temps pour faire son deuil se raccourcit. La personne n’a plus le temps de souffrir, de se reconstruire. C’est un point particulièrement difficile en entreprise : trouver du temps.


[i] La comédie humaine du travail -De la déshumanisation taylorienne à la sur-humanisation managériale- Daniele LINHART – Edition ERES, 2015.

[ii] Le DSM-V et la question du deuil: où tracer la ligne entre tristesse et dépression ? Megan Brooks
Auteurs et déclarations|27 février 2012

mardi 22 septembre 2015

Cancer & burnout : même combat ?



Lors de la création du cabinet Et-maintenant, une question est souvent revenue de la part de nos clients : quel est le lien entre les cancers, le burnout et les accidents ? Vous accompagnez des personnes après un arrêt longue durée mais il y a sans doute peu de points communs entre ces différentes situations ? Comment expliquez-vous cela ?

Comparer en effet un cancer du sein, un accident de ski, un burnout est compliqué. Nous n’allons pas revenir sur les différences cliniques, ce n’est pas notre sujet. Nous nous plaçons sous l’angle de vue de la personne de retour en entreprise après avoir été arrêté sur une période longue, au moins 3 mois, parfois beaucoup plus. La durée significative de l’arrêt est déjà un premier point commun. Plus la durée d’arrêt sera longue, plus complexe sera le retour car l’entreprise a changé. Le manager, le service, les collègues ne seront plus forcément les mêmes. Plus la durée s’allonge, plus forte est aussi la déconnexion avec le rythme du travail. Ceci est vérifié dans tous les cas de causes d’arrêt.

Le questionnement de la personne de retour est aussi commun à l’ensemble des situations. Comment vais-je réintégrer mon poste, dans l’entreprise en général. L’entreprise aura-t-elle changé ? Vais-je être capable de faire mon travail comme avant ou pas ? Comment gérer la situation ? Ce type d’interrogation sera plus ou moins fort non pas à cause de la pathologie à l’origine de l’arrêt, mais plutôt en fonction de la durée de l’arrêt. Ou du type d’entreprise. Les grands groupes internationaux sont plus mouvants que les PME familiales, le retour y sera plus hasardeux.

Troisième point commun, et non des moindre, la reprise d’une activité réelle, même en mi-temps thérapeutique est un signal fort envoyé à soi-même, à son entourage personnel et professionnel. C’est dans tous les cas une étape importante de sa reconstruction. Cela permet de boucler une période de sa vie - certes la boucle n’est pas encore complétement bouclée - mais le retour au travail est un début de ligne droite vers la sortie de la période de crise en cours. C’est pourquoi le retour en poste, quand il est possible, en un facteur important de reconstruction, sous réserve qu’il permette de repartir d’un bon pied et ne soit pas plus destructeur.

Enfin, dernière point commun  et il est majeur. Dans toutes ces situations, la personne a perdu le contrôle. Elle a subi, elle n’a pas choisi. Elle a subi une opération, une chimiothérapie, une radiothérapie, un période forcée d’inactivé, une cure de sommeil, une convalescence, une rééducation, un isolement en chambre stérile parfois. Elle n’a plus décidé, elle a suivi en tentant de faire face au mieux. Mais le sentiment général est celui d’une perte de contrôle de sa vie, emportée par un tourbillon dont personne ne voit le fond de l’entonnoir.

Le vrai point commun entre toutes ces pathologies, c’est bien celui-ci. Le lâcher prise, de gré ou de force.

Corolaire de ce lâcher prise : se retrouver confronté à un monde inconnu. De nouveaux termes, les étiquettes des hôpitaux, les contrôles médicaux, les IRM, scanners, Pet scans, hôpital de jour, les psychologues, le psychiatre, le spécialiste de la pathologie. Toutes ces personnes ont posé des questions que l’on n’imaginait pas, ont parfois imposé des décisions que je ne voulais pas vraiment. J’ai dû demander de l’aide, abandonner les problèmes courant à mes proches, affronter les questions des autres, gérer mon énergie au mieux en fonction de la journée.
Bref, j’ai compris que je n’étais pas infaillible, mon corps ou mon psychique m’ont lâché. J’ai fait une grosse entaille dans le contrat de ma toute-puissance supposée.

Second corolaire de ces situations, le malade constate que le « Ça n’arrive pas qu’aux autres » est une réalité. Flûte alors. Cette phrase toute faite, là, c’est pour soi ? Pour de vrai ?
C’est d’ailleurs une belle opportunité de repenser à la façon dont la personne s’est comportée face à des situations vécues précédentes. Qu’a t-elle face à quelqu’un qui était en arrêt ? A t-elle haussé les épaules, été indifférente, ou sauveur ? Ou bien juste ?
Pour illustrer dans un autre domaine, je suis toujours surpris quand je rencontre des demandeurs d’emploi, ou des créateurs d’entreprises, quand ils me disent que les « autres » ne sont pas aidants. Pour un demandeur d’emploi, c’est l’ancien collègue qui ne fait rien pour transmettre le CV. Pour le créateur, c’est l’ancienne relation professionnelle qui ne veut pas le recevoir en rendez-vous commercial sans l’aura de son titre précédent. J’aime bien alors leur poser la question suivante « Mais vous, quand vous étiez en poste, vous en avez transmis des CV ? Vous en avez reçu des créateurs ? »
Cette question génère souvent un grand silence. Ceux qui se plaignent de cette situation sont souvent ceux qui ne faisaient rien avant. Cette prise de conscience est salutaire. C’est pareil pour une personne malade ou en burnout. « Vous, comment avez-vous fait face à un collègue en arrêt ?» ?
Il ne s’agit pas de culpabiliser la personne mais de lui faire prendre conscience que la vie continue, que les autres ne sont pas parfaits, font de leur mieux souvent. Dans tous les cas, la réponse au problème est un peu chez les autres, mais surtout chez soi. Cette démarche est un élément clé du cycle de reconstruction.

Dernier point commun, le processus de rupture et de reconstruction est assez similaire dans ces grandes étapes en fonction des pathologies. Je ne vais pas reprendre la courbe de deuil de Elisabeth Kübler-Ross[i], plutôt orientée pour les soins palliatifs et la fin de vie, mais un cycle utilisé en logothérapie, même si des points communs nombreux existent. En particulier qu'il ne s'agit pas d'une linéarité, des retours en arrière sont possibles. Certaines étapes peuvent être "sautées" aussi.

La phase initiale

La première phase est appelée phase initiale. Elle est composée de 3 étapes : l’incertitude, la certitude, l’agression. Cette phase initiale est celle précisément où la personne découvre qu’elle ne maitrise plus grand-chose.



Le stade d’incertitude. Il reste encore une possibilité que la situation soit bégnine. Certes, mince mais réelle. Les questions sont du type :
  • Qu’est ce qui se passe ?
  • Je connais la date l’opération, est-ce vraiment un cancer ?
  • Je ne suis pas en forme, je suis fatigué(e) mais ça va aller ! C’est juste un coup de pompe !
  • J’ai eu un accident mais demain je suis sur pied !

Le stade de Certitude. Le médecin ou le psychiatre confirme le diagnostic. Il y a une preuve réelle et tangible de la situation. Un arrêt de travail, une opération, une chambre d’hôpital.

  • Oui, j’ai un cancer !
  • C’est n’est pas possible !
  • Les docteurs se trompent !
  • Mais ils ont parlé de chimio, de traitements ! Je sens la cicatrice, ça tire !
  • Ils parlent de rééducation, de convalescence !
  • Je suis en arrêt 3 mois pour burnout ! Renouvelable !

Le stade d’agression.  Ce n’est pas possible, je n’accepte pas la situation. Pour la simple et bonne raison qu’elle n’est pas juste ni justifiée. Cela me met en colère !

  • Pourquoi ?
  • Je suis enragé,
  • Je me sens attaqué déchiré, étranglé,
  • J’accuse les proches, les médecins,
  • Les autres ne me comprennent pas, ils ont de la chance
  • Je suis jaloux
  • J’ai toujours tout fait pour rester en bonne santé

La phase de transition

La seconde phase est la phase de transition. Malgré la colère, la personne finit par comprendre que la réalité est là. Les médecins, le manque d’énergie, la fatigue, le proches qui sont souvent en difficulté ou perdus. Commence alors une phase de descente douloureuse. Elle comprend un stade de négociation et  de dépression.

Le stade de négociation. Avant de lâcher complétement, de renoncer temporairement, le malade va essayer de trouver des biais. Des solutions.

  • Si j’étais capable de trouver une alternative ?
  • Un autre médecin compétent ?
  • Une meilleure méthode, un traitement ?
  • Un remède miraculeux ?
  • Si je changeais mon style de vie, mon alimentation ?
  • Ok, je ne travaillerai plus le soir. Ni mes mails !

Le stade de dépression. Les faits sont têtus et la négociation ne donne rien ou pas grand-chose. La maladie est là, les traitements sont là, le manque d’énergie est là. S’ouvre alors un grand vide. Tout ça pour en arriver là ? Tout ce que j’ai entrepris, construit est finalement si incertain. C’est absurde.

  • Il n’y a plus de sens
  • Je suis seule
  • Personne ne peut aider tout est gris
  • Ne me donne pas de conseil
  • Je ne veux plus
  • Est-ce que je devrais changer de thérapeute, quelqu’un qui me comprend, avec qui parler de mes peurs
  • Mais je ne veux pas et comment ; il y tant de questions !

La phase finale

La dernière phase est la phase de reconstruction, ou la phase finale. Elle permet de renaitre de ses cendres en quelque sorte. Par contre, elle implique une sortie de la phase dépression, qui elle peut demander un certain temps. Il n’y a pas de règles sur la durée, c’est très lié à la pathologie, à l’historique, à la maladie. 3 stades : Acceptation, activité et solidarité.

Le stade d’acceptation. Il est clair que la situation est différente d’avant. Les choses sont maintenant différentes, pas forcément moins bien ou mieux, juste différentes. C’est le moment du « tournant Copernicien ». La question n’est pas « Pourquoi » mais bien « Pour en faire quoi ? »

  • Je reconnais les réalités
  • Il y a des limites, des changements, des pertes
  • Je ne peux plus continuer comme avant
  • Il y a des ressources insoupçonnées
  • Je vois de la lumière à travers les barreaux

Le stade d’activité. Une fois cette acceptation faite, la personne redécouvre qu’elle a encore du temps devant elle, des projets. Ce ne seront pas les mêmes projets qu’avant mais des projets néanmoins.

  • J’ai de projets, je les ferai !
  • Je prends du temps pour me promener, un voyage
  • J'utilise les heures et les jours où je me sens bien
  • Je réalise un projet qui n’avait toujours intéressé et pour lequel je n’avais jamais le temps
  • Je pense à moi et je me soigne

Le stade de solidarité. Ce stade est spécifique à l’approche Logothérapie. C’est un stade où la personne cherche à donner du sens à ce qu’elle a vécu. Or le sens ne se trouve qu’en direction de l’autre. Entamer une démarche de solidarité est un moyen d’aller vers l’autre, donc de trouver un sens au vécu.

  • Je suis dans une dynamique de groupe, j'aide.
  • Nous agissons ensemble
  • Je ne suis plus seul(e)
  • Je m’engage dans un groupe
  • Je reconnais que chacun vis des crises + ou -  graves
  • Je partage avec mes proches (mais pas que)
  • Je me permets de parler de moi, de la maladie, de la vie.

On le voit, si les pathologies sont très différentes, de nombreux points communs existent.

Mais concrètement ?  A quoi sert ce constat s’il ne permet pas d’améliorer le sort des personnes au sein de l’entreprise ?

Il existe un point fondamental dans l’approche de la reconstruction après un arrêt longue durée, qu’il soit lié à un cancer, à un burnout ou à un accident : la personne en tant que telle. Car, finalement, peu importe la cause, c’est bien la personne qui va œuvrer pour s’en sortir et elle est responsable de ses actes, de sa reconstruction.

Ne pas centrer la démarche de reconstruction sur la seule maladie a un énorme avantage. Elle n’est pas stigmatisante. La personne n’est pas que son Cancer, ou son burnout. C’est une personne qui a vécu une difficulté et qui revient dans l’entreprise. La question de savoir la cause de cet arrêt est importante mais il ne s’agit pas de parler du cancer ou du burnout. Si la revisite de certains éléments historiques de l’arrêt sont parfois utiles, ce n’est pas le centre du débat. L’accompagnement s’intéresse d’abord à la personne, pas à la maladie.
La question que se pose l’accompagnant est « Qui est cette personne en face de moi, où en est-elle dans son processus de reconstruction, comment l’aider ?». Si avoir vécu la même situation que la personne malade est aidant pour mieux comprendre rapidement son questionnement, ce n’est pas là le cœur de l’accompagnement.

Autre dimension, la personne est responsable. Elle seule peut s’aider et trouver les réponses à ses questions. Elle en est tout à fait capable, même si elle peut avoir besoin de soutien dans cette démarche. Sans rentrer dans des débats entre psychanalyse et Logothérapie qui ne sont pas le souci d’une approche très pragmatique, la personne n’est pas le simple jeu de son inconscient ou des événements. Elle a le choix et en particulier toujours le choix de choisir son comportement face à la situation. Elle a le choix de la façon de vivre sa reconstruction. Si elle n’a pas choisi la maladie, ni le burnout, elle a maintenant le choix de se reconstruire et de tenter de trouver un sens à ce qui lui arrive. Elle a également le choix de continuer dans son fonctionnement ancien ou d’en changer, les deux étant acceptables mais avec des conséquences différentes. L’objectif de l’accompagnant est d’augmenter le niveau de conscience de la personne en face, pour qu’elle soit en mesure de faire ses propres choix. Elle a également le choix de transformer son épreuve en solidarité sous une forme ou une autre. Ou pas.

Enfin, et c’est un point qui apparait souvent dans l’accompagnement, elle a le choix du rythme de sa reconstruction. Du temps qui lui faudra pour s’orienter, ou pas, vers une nouvelle vie qui donne plus de sens à ses actes. Là encore, nulle préconisation de la part de l’accompagnant. S’il faut changer rapidement, c’est possible. S’il faut 5 à 10 ans pour se réorienter, en prenant en compte la réalité du terrain et de la vie de la personne c’est valable aussi.

Ce qui est vraiment important pour l’accompagnant, c’est d’aider la personne à se dire « J’ai vécu ceci, je vais en faire cela, en allant dans cette direction, à mon rythme » et à choisir ce qui est juste pour elle.



[i] Sur le chagrin et sur le deuil Poche – 3 mars 2011 de David KESSLER (Auteur), Elisabeth KUBLER-ROSS (Auteur), Joëlle TOUATI (Traduction)

mardi 8 septembre 2015

Recherche de sens & maintien du lien


J’ai évoqué dans le post précédent les valeurs terminales/de vie de Rokeach : ces valeurs symbolisent ce qui a de l’importance au terme de sa vie. Elles sont intéressantes à travailler par la personne mais elles sont, par contre, clairement en dehors de la compréhension du mot valeur par l’entreprise. C'est légitime.
Avoir une famille épanouie, avoir une vie harmonieuse, avoir une vie pleine d’amitié, avoir une vie éternelle, avoir une vie pleine d’amour ou spirituelle etc…Autant de valeurs que l’on ne verra jamais détaillées dans une plaquette d’entreprise à priori, car ce n'est pas le rôle premier de celle-ci que de répondre à ces aspirations.
C’est lors de la recherche d’une réponse à la question « Finalement, qu’est ce qui est vraiment important pour moi ?», après un épisode de vie douloureux, qu’apparaissent cette question et ces valeurs.
Travailler sur ces valeurs de vie est aidant pour la personne. Cela lui permet de mieux prendre conscience des priorités de sa vie. Identifier sa vie de famille comme une valeur prioritaire permet de prendre du recul par rapport à son travail. Pour autant, paradoxalement, travailler sur ces valeurs est un moyen de mettre des mots sur une réalité souvent vécue. Mais pas de clarifier le cap de sa vie. C’est nécessaire mais pas suffisant.

C’est ici que l’apport de la Logothérapie pour l’accompagnement des personnes arrêtées longtemps prend tout son sens.
La Logothérapie est la troisième école viennoise de thérapie, créée au début du 20ème siècle, en parallèle de la psychanalyse de Sigmund Freud et de la psychologie individuelle d'Alfred Adler. Son fondateur[i], Viktor Frankl, postule que l’homme est avant tout un être à la recherche de sens. Plus particulièrement de recherche d'un sens à sa vie, non pas au sens de la vie en général, recherche qui est, elle, dans une démarche religieuse. La Logothérapie est non confessionnelle.

Si la Logothérapie ne remet pas en cause la notion d’inconscient développée par Freud, elle postule également que l’homme n’est pas seulement un être en lutte contre ses pulsions, sexuelles notamment, mais qu’il est tiré par sa recherche de sens. En outre, s’il existe un inconscient pulsionnel, dont une partie sexuelle, V. Frankl revendique aussi un inconscient « spirituel » qui permet de créer les œuvres d’art, la musique, la poésie etc. L’inconscient n’est pas qu’une fosse obscure, c’est aussi une source de lumière.
L'homme est surtout tiré par la lumière et le sens et pas uniquement poussé par ses pulsions.

Une notion est particulièrement intéressante dans la Logothérapie en regard des personnes ayant vécues un burnout ou un cancer. C’est le concept de tournant Copernicien. C’est la transformation de la question "Pourquoi cet évènement m’arrive à moi ?"  en « Quel est le sens que je peux trouver à ce qui m’arrive ? ».
Ce changement de centrage est majeur dans la vie d’un malade. Car ce n’est plus l'homme qui pose une question à la vie mais bien la vie qui pose une question à la personne : que vas-tu faire de ce qui t’arrive ? La première question « Pourquoi », à laquelle aucune réponse satisfaisante ne peut être trouvée, peut alors se transformer en « Pour en faire Quoi ? ».

Un autre concept logothérapique est développé par Elisabeth Lukas dans son livre « Quand la vie retrouve un sens »[ii]. Elle y développe différents exemples thérapeutiques. Avec une approche basée sur la recherche de sens par la personne, cette recherche pouvant déboucher sur une vision différente de la situation et surtout sur une extraordinaire ressource d’énergie. La personne qui trouve sa place, à cause ou grâce à une maladie, trouve aussi une source de motivation sans précédent. C’est un levier puissant pour la personne de trouver sa place et d’y trouver du sens. Comme le souligne E. Lukas « Le bonheur est de savoir que l’on sert une tâche qui a un sens ». Parvenir à répondre à la question :
« Pour en faire quoi ? » avec justesse, c’est toucher du doigt qui l’on est vraiment et qui sont ceux qui vont donner du sens à sa vie.

C'est un autre concept fort de la logothérapie. Le sens de sa vie ne se trouve que vers l’autre. Il ne peut se trouver de soi vers soi mais bien de soi vers un autre, que ce soit sa famille, ses enfants, une population particulière, un être spirituel.

Un collaborateur de retour dans l’entreprise après un arrêt de plusieurs mois, des traitements lourds et douloureux pour certains, des périodes d’hibernation - des personnes dorment des semaines entières suite à un burnout – est souvent encore dans le « Pourquoi ? ». Question à laquelle il ne va pas trouver de réponse et que ne vont pas toujours comprendre ses collègues, son manager, son Rh. Car ceux qui ne n‘ont pas vécu ces traumatismes, paradoxalement, savent qu’il n’y a pas de réponses. Pour eux, la réponse est « Parce que !», point, et retour au business.
La meilleure des bonnes volontés du manager se heurte vite à un mur d’incompréhension qui éteint rapidement les relations entre le manager et le collaborateur, peu importe la gentillesse du premier.
Il est vrai qu’il n’est écrit dans aucune fiche de poste ni description de fonction comment accueillir une personne qui a failli mourir ou a souffert ! Ce n’est pas dans le cursus classique de formation du parfait manager. Car l’arrivée en force, par la grande porte, de l’émotion par un simple « Pourquoi ? » dans le bureau des cadres est tout sauf la bienvenue.

La transformation du « Pourquoi ?» en « Pour Quoi ? » est une démarche personnelle de recherche de sens que nul ne peut faire à la place d’un autre. C’est là une autre contradiction entre l’entreprise et la personne. La plupart des dirigeants ont un grand questionnement : comment redonner du sens à mon entreprise pour que les collaborateurs se sentent à nouveau impliqués ? Comment leur donner le sens de ce qui est plein de sens ? Ce questionnement est une réalité aussi dans des industries ou des secteurs d’activités plein, à priori, de sens, comme l’industrie de la santé, l’aide aux personnes, l’écologie, la recherche appliquée etc…
Seulement la recherche de sens ne se prescrit pas, elle ne se diffuse pas comme un message de communication. C’est un déclic qui vient de l’intérieur. Comme beaucoup d’autres concepts importants, les valeurs, le bonheur, il est impossible de l’imposer mais seulement possible de créer les conditions de son émergence. Ce qui ramène à une obligation de moyens et pas de résultats.
Les entreprises ont perdu la guerre des valeurs, elles sont en train de perdre la bataille du sens. C’est là aussi une notion qui leur échappe, précisément car elles veulent le contrôler, prescrire les valeurs et le sens de l’entreprise.
Or c’est bien l’individu qui est en recherche de sens, mais d’un sens propre à son action, pas à l’action de son entreprise. Les personnes ayant eu un arrêt sont juste les pionniers d’un mouvement plus profond, plus sociétal, hors de mon champ d’écriture ici mais qui interroge.
Les dirigeants d’entreprises auraient sans doute intérêt à travailler leurs propres valeurs intimes et le sens de leur propre action, pour eux, pas pour leur entreprise. Cela créerait les conditions d’un possible changement, pour eux, peut-être pour leur environnement.
Certains le font, cherchent à percevoir leur rôle de dirigeant différemment, je le vois bien. Mais c'est encore rare. Faire ce travail aboutit inévitablement à l'abandon de la volonté de prescrire un sens à l'entreprise, combat inutile et vain. La vraie question est "quel est le sens que mes collaborateurs donnent à leur travail ?". Comme nul ne peut répondre à cette question à la place de l'autre, la logique est alors de laisser les collaborateurs répondre par eux-même. Donc de se mettre en posture "Ils sont capables de ", ils sont responsables. Cela revient  à une posture dirigeante ou de manager très différente, sans volonté de prescrire un sens à ses collaborateurs.

Mais concrètement ?  A quoi sert ce constat s’il ne permet pas d’améliorer le sort des personnes au sein de l’entreprise ?

Aider une personne à trouver un sens à la réalité de certains événements de sa vie n’est pas chose aisée. Tout d’abord car elle est la seule à pouvoir trouver un début de réponse. Mais également car ce travail suppose que la personne soit dans un état d’esprit le permettant. Sans revenir ici sur la courbe de deuil mainte et mainte fois décrite, il est évident que vivre une opération, un traitement ou un burnout génère de la colère, de la tristesse, des émotions multiples. Le travail de recherche de sens ne peut se faire qu’une fois passé le plus gros de ces émotions extrêmes, ou d’absence complète d’émotions et d’énergie parfois.
Cela prend un certain temps, propre à chacun et que l’on ne peut pas réduire. Ah si seulement les cancers et les burnout pouvaient se gérer comme un simple mais longue grippe. Ce serait le bonheur pour les entreprises. Car ce n’est pas l’absence qui est le plus pénalisante pour un service mais l’absence de visibilité sur le date de retour, sur le retour lui-même s’il a lieu.
Quand un collaborateur est absent, les collègues font le boulot puis un CDD est embauché. Mais pour combien de temps ? 2 mois, 6 mois, 1 an ?  C’est la galère à gérer, c'est certain. Il faut reconduire le CDD d’échéance en échéance, en respectant les limites de la loi sur ce type de contrat. Ou bien prendre un intérim quand c’est possible.
Dans tous les cas, si l’absence se prolonge, c’est un poste dans les effectifs qui est bloqué et difficile à faire évoluer, un Head-count vous diront les boites internationales. Et au bout de mois d’effort, l’arrêt est reconduit de 2 semaines en 2 semaines sans qu’il soit possible de rien y faire ni de s’organiser vraiment. Au moins, avec une grippe, on sait à quoi s’attendre, on peut prévoir. Avec un cancer, un burnout, une maladie, c’est compliqué pour l’activité. Cela génère du travail et de la tension pour le RH, le manager, les collègues. C'est un constat.

De l’autre côté, c’est ardu pour le personne malade aussi. Plus l’absence est longue, plus le retour est laborieux. Au-delà de 18 mois, le retour devient très compliqué. Le critère de retour est souvent la capacité physique à tenir son poste, mais ce n’est pas le seul. L’aspect psychologique joue un rôle important, en particulier dans les burnout.
Un des critères pour un retour réussi est la qualité du lien[iii] qui a été maintenu entre l’entreprise et le malade durant son arrêt. Légalement, c’est très compliqué pour le/la RH de faire cette démarche. Mais cela peut parfois être fait par un manager, un collègue, une assistante sociale. On constate que lorsque le lien est maintenu, le retour se fait plus facilement et la personne revient dans une dynamique plus favorable.
Le médecin du travail fait parfois ce travail mais c’est très lié aussi à l’organisation propre de l’entreprise : médecin du travail sur site, infirmière ou assistante sociale etc. La visite de pré-reprise est un bon moyen d’évaluer l’état d’esprit de la personne. Mais le contact avec le médecin du travail ne permet pas toujours de remplacer un lien avec le collègue, avec un manager.

Le travail sur le maintien du lien entre l’entreprise et le collaborateur en arrêt est un vrai axe de développement car elle permet ensuite d’envisager un travail d’accompagnement sur les valeurs et la recherche de sens dans de bonnes conditions au retour. Le collaborateur qui revient en ayant maintenu le lien va pouvoir consacrer son énergie à son travail, sera dans de bonnes conditions pour se distancier de sa peine.
A l’inverse, revenir dans une entreprise du jour au lendemain après ne plus y avoir mis les pieds ou en avoir entendu parler pendant des mois ou des semestres est traumatisant. Tout est différent, cela va très vite, le retour est violent et un mi-temps thérapeutique n’y change pas toujours grand-chose.
Paradoxalement, de peur de faire du tort au malade, l’entreprise ne maintient pas le contact avec son collaborateur. Ceci va aggraver la situation et compliquer le retour, faire du tort au collaborateur et l’entreprise. Surtout elle ne se donne pas la chance de maintenir un lien indirect avec le malade.

Le Rh ne peut pas le faire, car jugé trop « agressif » - ce qui laisse dubitatif et triste sur le perception des RH au passage quelle que soit les qualités humaines du RH en question.
 Je rends ici hommage aux RH qui cherchent à aider mais ne peuvent souvent rien faire. Ni avant car rarement une personne au bord du burnout ira se confier à son/sa Rh. Ni pendant l'arrêt car perçu comme une intrusion. Il leur reste après, lors du retour, comme carte à jouer. En étroite collaboration avec le manager et le médecin du travail. Mais la marge de manœuvre est mince.
Comme illustration, ce souvenir de séminaire sur le retour après cancer où une DRH d'un grand groupe de distribution présentait le courrier envoyé au domicile des personnes malades plus de 3 mois, pour leur indiquer qu'une aide de leur part était possible, qu'un rendez-vous avec le médecin du travail pouvait être utile, si la personne le jugeait comme cela, sans obligation. Un courrier avec chaque mot pesé, évalué, retravaillé maintes fois selon elle, dans une énergie positive. En retour, une réaction hostile de la salle. Un exemple éclairant pour moi. Une volonté réelle et positive pas payée de retour.

Maintenir le lien, s'il n'est pas fait par le Rh ou le manager, peut se faire autrement. Encore faut-il se poser la question ce qui est rarement le cas aujourd’hui. L’entreprise reste dans le modèle, sans avoir vraiment le choix en vérité, « Vous êtes en bonne santé, on peut vous parler. Vous êtes malade, vous êtes hors de portée». Un sociologue vous dirait peut être comment on en arrivé là, avec une telle coupure entre l'entreprise et le collaborateur ? Dans l'absolu, c'est souvent au détriment de la personne en arrêt. La personne qui revient en poste a besoin de reprendre contact progressivement, ne va t'elle pas y passer à nouveau 1/3 de son temps ?

Concrètement, pourquoi ne pas redéfinir les moyens de maintenir le contact entre une personne malade et son entreprise lors de son arrêt? ou au moins de laisser le choix ? Faire ce travail de pédagogie avant l'arrêt, en préventif. Maintenir le lien permet un retour plus serein, un travail plus facile sur le sens, du positif pour tous les acteurs.


[i] Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie Poche – 3 juillet 2013 - ViKtor Frankl –Ed J’ai Lu
[ii] Quand la vie retrouve un sens – Broché – 1 février 2005 – Elisabeth Lukas –Ed. Pierre Tequi
[iii] Guide Soutenir le retour au travail et favoriser le maintien dans l’emploi – 2013 – IRSST – Louise Saint-Arnaud & Mariève Pelletier/Université Laval/Québec